dimanche 26 février 2012

Quelques grammes de plomb (dans le pistolet de Robert Ford)


Les années de routine ont bon dos. Je me suis raconté que nous étions revenus de tout, que même t’emmener danser était devenu une corvée. Alors, comme au casino, j’ai jeté mes cartes sur la table : “Donnez-moi un jeu neuf !”
Je ne t’ai pas ménagée. Je t’ai couchée, comme au champ la faux couche l’épi. Je t’ai sonnée comme la brute sur le ring sonne son adversaire par surprise. Je me revois marchant vers ma bagnole comme un petit soldat. Je n’ai même pas eu le courage de me retourner, de te regarder dans les yeux. Mais il y a une chose que j’avais bien comprise : je venais de perdre à jamais ce que je ne n’avais même pas encore été fichu de trouver.

J’ai l’impression d’être un enfant dont on vient de piétiner les jouets, un enfant qui vient de faire éclater la bulle magique. La bulle où nous vivions tous les deux. Et si tu savais ce que je m’en veux. Les amis, les tiens, les miens... Les premiers temps, leurs regards me fusillaient. Mais maintenant, même plus de regards : ils ont disparu du paysage, ils sont aux abonnés absents. J’ai d’abord pensé que c’était mieux ainsi. Mais à présent j’ai l’impression d’être marqué : un genre de lettre écarlate ! À croire que, pour la société, il vaut mieux faire un casse que casser son couple.

J’ai l’impression que je ne vaux guère mieux que quelques grammes de plomb dans le pistolet de Robert Ford. Je me sens aussi vil qu’un tueur à gages, aussi dépourvu de sentiments que la lame de l’assassin.
Je me sens minable.
Est-ce qu’on peut encore recoller les morceaux ?
Je ne sais plus où j’en suis.
Quand je pense à toi, quand je pense à nous, j’ai l’impression de ne pas valoir mieux que ça : quelques grammes de plomb dans le pistolet de Robert Ford.

Like a corn in a field I cut you down
I threw the last punch too hard
After years of going steady, well I thought that it was time
To throw in my hand for a new set of cards

And I can't take you dancing out on the weekend
I figured we'd painted too much of this town
And I tried not to look as I walked to my wagon
And I knew then I had lost what should have been found
I knew then I had lost what should have been found

And I feel like a bullet in the gun of Robert Ford
I'm low as a paid assassin is
You know I'm cold as a hired sword
I'm so ashamed, can't we patch it up ?
You know I can't think straight no more
You make me feel like a bullet honey in the gun
In the gun of Robert Ford

Like a child when his toys have been stepped on
That's how it all seemed to me
I burst the bubble that both of us lived in
And I'm damned if I'll ever get rid of this guilt that I feel

And if looks could kill then I'd be a dead man
Your friends and mine don't call no more
Hell, I thought it was best but now I feel branded
Breaking up's sometimes like breaking the law
Breaking up's sometimes like breaking the law

And I feel like a bullet in the gun of Robert Ford
I'm low as a paid assassin is
You know I'm cold as a hired sword
I'm so ashamed, can't we patch it up ?
You know I can't think straight no more
You make me feel like a bullet honey in the gun
In the gun of Robert Ford


Bernie Taupin - I feel like a bullet (in the gun of Robert Ford)

Mis en musique et interprété par Elton John - Extrait de l’album “Rock of the westies”, 1975, éditions Carrère, réf. CA 802 96.090.
Traduction libre : Shaki Pelott.
Photographie extraite du film "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford". Auteur inconnu.

dimanche 5 février 2012

EXCLUSIF ! JERRY VAN DOGH : "J'ENSEIGNE POUR ÊTRE UTILE."

Shaki Pelott : Jerry, tout d’abord merci d’avoir accepté cet entretien : le premier que vous accordez à un blog européen ! Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment vous en êtes venu à consacrer votre vie au sourire en coin ? La genèse d'une passion ?
Jerry van Dogh : C’est très simple. Karl Lagerfeld ayant jeté son dévolu sur le catogan sans le sourire et le chat du Cheshire s’étant approprié le sourire sans le catogan, il ne restait plus en rayon que le sourire en coin !
S. K. : Vous auriez pu hésiter. Après tout, c’était ce que l’on peut appeler un sacré “challenge”.
J. v. D. : On peut le dire. La réussite n’était pas évidente.
S. K. : Quel est le secret de cette réussite ?
J. v. D. : J’ai beaucoup travaillé. J’ai commencé bien sûr par dévorer tous les ouvrages sur le sujet écrits par Edmond Rattier et Lisette Meyreuil. Et puis je suis allé à Hokaïdo, et là j’ai eu la chance de rencontre le maître Chow Chow, un des derniers grands maîtres du sourire en coin. Il était au soir de sa vie, et il m’a accepté comme disciple, et plus encore, comme héritier spirituel. Saviez-vous qu’en japonais huron ancien, “ho - kaï - do” signifie littéralement “la voie du sourire en coin” ?
S. K. : Non, mais je sais que bonne renommée vaut mieux que obi doré. Aujourd’hui vous avez choisi d’enseigner le sourire en coin. Pourquoi ce choix ? Vous auriez très bien pu vous contenter de vivre de vos rentes ?
J. v. D. : En effet, j’aurais pu me contenter des royalties que me rapporte le sourire en coin et me la couler douce sur une île paradisiaque. J’ai choisi d’enseigner tout simplement parce-que j’avais envie d’être utile. Oui, c’est ça je crois : j’enseigne pour être utile.
S. K. : Vous rappelez-vous votre premier élève ?
J. v. D. : Bien sûr. Nous sommes restés très amis. C’est un berger figurez-vous.
S. K. : Un berger ?
J. v. D. : Oui, je l’ai rencontré lors d’une randonnée en Forêt Noire.
S. K. : Un berger allemand ?
J. v. D. : Précisément. Il avait un gros problème avec le sourire. Il avait tendance... comment dire... à vite “montrer les dents” ! L’apprentissage du sourire en coin a été pour lui comme une porte qui s’ouvrait sur une autre dimension, une philosophie du pardon, une découverte du lâcher-prise. La brebis s’écarte du troupeau ? Eh bien tant pis, je ne la poursuis pas en aboyant, je m’assieds sur mes pattes de derrière et  je souris en coin : elle retrouvera son chemin toute seule.
S. K. : D’autres élèves vous ont laissé un souvenir particulier ?
J. v. D. : En Bretagne, un jeune qui je crois était d’origine espagnole.
S. K. : Un espagnol breton ?
J. v. D. : Oui. Je crois qu’on dit cela, un espagnol breton, enfin quelque chose comme ça il me semble. Il était sympathique mais un peu “tout fou”, imprévisible. Très sportif. Il adorait poursuivre les cyclistes et, pour reprendre sa propre expression, les “chiquer au mollet” pour les faire chuter. Certains prenaient mal la chose. La maîtrise du sourire en coin lui a permis de les désarmer.
S. K. : Pas d’éléments féminins dans vos effectifs ? Vous n’avez pas peur que l’on vous reproche de ne pas respecter la parité (rire) ?
J. v. D. : (rire) Non, je ne crains rien de ce côté. Tenez, j’ai gardé de très bonnes relations avec une charmante pékinoise. Elle était complexée par sa petite taille. Je lui ai appris le sourire en coin et elle est partie à Hollywood où elle est devenue une star ! Il n’est pas impossible que l’empreinte de sa patte soit bientôt sur le trottoir de Hollywood Boulevard.
S. K. : Incroyable ! Jerry, accepteriez de donner une leçon de sourire en coin à nos lectrices et à nos lecteurs ? Une photo ? Qui sait si cela ne les aidera pas à devenir des stars ?
J. v. D. : D’accord, pas de problème. Je vous fais une petite démonstration.
S. K. : Merci Jerry. Vous n’avez pas volé votre réputation de grand seigneur du sourire en coin.


Jerry van Dogh se prête au jeu des photographes et offre à nos lecteurs une démonstration de son célèbre sourire en coin.

© Shaki Pelott et la Voie du Sourire en Coin.
Photographie : Shaki Pelott.