lundi 28 janvier 2013

Les Tuileries


Nous sommes deux drôles aux larges épaules, de joyeux bandits sachant rire et battre, mangeant comme quatre, buvant comme dix ! Quand, vidant les litres, nous cognons aux vitres de l’estaminet, le bourgeois difforme tremble en uniforme sous son gros bonnet.
Nous vivons, en somme : on est honnête homme. On n’est pas mouchard, on va le dimanche avec Lise ou Blanche dîner cher Richard.
Nous vivons sans gîte, goulûment et vite comme le moineau, haussant nos caprices jusqu’aux cantatrices de chez Bobino. 
La vie est diverse. Nous bravons l’averse qui mouille nos peaux; toujours en ribote, ayant peu de bottes et point de chapeaux.
Nous avons l’ivresse, l’amour, la jeunesse, l’éclair dans les yeux, des poings effroyables !

Nous sommes des diables !

Nous sommes des dieux !


Illustration : "Repas bachique" de Bartolemeo Passarotti.
Pour l’histoire de ce texte de Victor Hugo, dont j’ai longtemps cherché l’origine sans la trouver, et sa version intégrale, voir
  • l'article de Marie-France Sculfort.
  • Je me suis permis, timide audace, de changer légèrement la ponctuation et de passer à une présentation en prose parce qu’après tout la poésie autorise toutes les audaces.