jeudi 18 décembre 2014

Un conte de Noël



Il sortit du jardin des Tuileries. Il n’était pas tard, mais la nuit était déjà bien installée. La nuit, c’est à dire les lumières, les illuminations, les guirlandes, les étoiles clignotantes. Un peu plus tôt il était monté jusqu’à l’orée des Champs Élysées, avait frôlé un marché de Noël, une débauche de lumières bleues, rouges, qui baignaient des petits chalets alignés  où l’on vendait de quoi boire, manger, des souvenirs, des peluches, des bonnets de Père Noël. Un bonnet, il en avait déjà un, heureusement, vu le froid de gueux, mais un bon verre de vin chaud à la cannelle, il n’aurait pas dit non. Il n’avait pas emprunté l’allée centrale du marché, avait fait demi-tour, levé les yeux sur la Grande Roue qui tournait paresseusement. Paris devait être belle, vue de là-haut. À présent, il remontait vers la place Vendôme. Il traînait un peu la patte, une vieille entorse se rappelait à son bon souvenir. Des travaux étaient en cours sur la place. Il longea une palissade, passa devant l’entrée d’un palace : la lumière y était chaude, discrète. Il suivit la courbe du trottoir. Une femme jeune et élégante le croisa d’un pas rapide, lui jeta un regard agacé. Ou peut-être le regard s’adressait-il aux palissades qui défiguraient la place ? Il s’arrêta un instant, la suivit du regard. Elle s’engouffra dans le palace. Elle ne s’était pas retournée. Il reprit son chemin. En passant devant l’entrée d’un autre palace, plus discrète celle-là, il s’amusa à regarder le prix des chambres. Plus loin sur la droite, un immeuble était habillé d’immenses panneaux éclairés vantant une marque de luxe. Il poussa jusqu’à la place de l’Opéra. Il aimait cette place, il arrivait facilement à y rêver. Ce soir, spectacle, musique, une coupe de champagne à l’entracte. Il remonta le boulevard. Il marchait au bord du trottoir pour ne pas gêner le flux et le reflux des passants. Des couples d’amoureux se souriant, se disputant. Des ados rivés à leur leurs smartphones. Des femmes ou des hommes d’affaire, vêtus de gris coûteux, eux aussi rivés à leurs smartphones. Les restaurants commencent à se remplir. Il s’approche d’une carte à l’entrée d’une brasserie : après l’opéra, une douzaine d’huîtres avec un verre de Gros Plant, et puis il fait faim, on enchaînerait sur poulet-frites, oui tout simplement, et tarte aux pommes, café. Il n’était pas très tard, mais il était fatigué. Pas étonnant, après une telle soirée, l’opéra, le restau. Il avait un peu de mal à respirer, souvent le soir, avec le froid, l’humidité. Il cherchait du regard un emplacement libre. Les perrons des magasins, les portes des immeubles de bureaux. Tout était pris. Il se tourna vers la façade de l’Olympia, de l’autre côté du boulevard. Il leva la tête, lut le nom en lettres rouges. Les spectateurs commençaient à affluer, se retrouvant, s’interpellant. Il reprit sa marche, traversa une rue. Une moto aux couleurs pastel passa doucement devant lui, tournant en direction de la Concorde. La combinaison et le casque laissaient deviner la silhouette et la chevelure d’une jeune fille. Elle lui fit un petit signe de tête. Il lui fit un signe de la main, mais elle était déjà loin. Il était heureux de ce petit signe de tête. Le banc qu’il espérait libre sans l’espérer ne l’était pas. Il continua. Il avait du mal à respirer. Comme souvent le soir. Il s’appuya, dos au mur d’un immeuble, près de la porte, où une plaque annonçait un établissement financier. Il se laissa glisser, se retrouva assis par terre. Il pensa à la chanson de Souchon : “assis par terre comme ça”. Il n’y avait pas que lui, assis par terre comme ça, c’était une certitude, il avait raison, Souchon. Il avait du mal à respirer. Il irait voir Souchon à l’Olympia dès qu’il en aurait l’occasion. Il avait du mal à respirer. Il ferma les yeux. Il avait du mal à respirer et son cœur battait bizarrement vite. La fille lui avait fait un petit signe de tête. Elle avait peut-être vu son signe de la main en réponse dans son rétroviseur ? Il avait du mal à respirer et son cœur battait de plus en plus vite. Allô maman, bobo. Souchon à l’Olympia, il ne le raterait pas. Il s’endormit sur cette promesse.

© Shaki Pelott 2014.
Photographie : Shaki Pelott.

samedi 14 juin 2014

Cicatrices d'Europe


La lecture du livre d'Amélie Gahète est une plongée dans un passé récent et terrible. L'éclatement de la Yougoslavie a été l'occasion pour les brutes de service, chancres-chantres de la haine et de l'intolérance, d'imposer la violence et la barbarie d'une guerre annoncée à des populations désemparées. Les frères européens, hébétés, et qui n'avaient pas même l'excuse de la surprise, se sont révélés impuissants à empêcher une horreur que l'on imaginait bannie. "Nos cicatrices" est une plongée dans cette histoire tragique à travers des destins singuliers. Cicatrices bien réelles, physiques et morales, de tous ceux qui ont souffert dans cette guerre, et cicatrices éthiques d'une Europe qui ne les effacera jamais.
Vous pouvez vous procurer ce livre ici.

samedi 10 mai 2014

L'âge de l'eau : l'abri de l'autre côté

Photographie : Alexandra. Merci à elle de m'avoir autorisé à la publier ici.
Série inspirée par l'univers des jeux Myst et Riven.

mardi 6 mai 2014

Amis imparfaits


Le livre de Serge Cazenave "Amis imparfaits" sera publié le 12 juin 2014. Il est disponible en pré-commande dès maintenant ici.
Il rassemble plusieurs nouvelles au café très noir, sans sucre. Mais aussi une passionnante incursion dans les souvenirs de Serge au temps où certains espéraient trouver la plage sous les pavés : là encore, pas question de nostalgie en lumière douce, mais bien d'un récit éclairé à la lumière noire des malentendus amers et des illusions perdues. Fort et sombre.

samedi 8 mars 2014

Naissance d'un chef-d’œuvre



Le professeur Cyprien Labulette est chercheur au Centre d’Études Littéraires et de Pêche à la Mouche du Val de Marne. Agrégé de lettres de l’alphabet et de pêche à la mouche, il est surtout connu du grand public pour ses travaux sur Marcel Proust et son œuvre. À quelques jours de la parution de son ouvrage “La recherche avant le temps perdu : naissance d’un chef-d’œuvre”, il nous fait l’honneur de nous accorder une interview.
Shaki Pelott : Professeur Labulette, tout d'abord, est-il vrai que votre livre à paraître dans quelques jours apporte sur la “”Recherche” un éclairage tout à fait inattendu ?
Professeur Labulette : Je dirai qu’il apporte un éclairage, oui, sans doute inattendu pour beaucoup, non pas sur la “Recherche” elle-même,  mais bien sur le long processus qui a mené à sa conception dans l’esprit de Marcel Proust.
S.P. : Pouvez-vous en dire plus à nos lecteurs ?
Prof. L. : Il m’est difficile de résumer mon livre, qui fait 3674 pages, en quelques paragraphes. Je peux cependant vous donner une idée des grandes lignes directrices de mon travail de recherche.
S.P. : De recherche sur la “Recherche” ! (rire).
Prof. L. : Oui, tout à fait, tout à fait (rire). Or donc je me suis intéressé aux prémices de la “Recherche”. Il faut savoir que dès son plus jeune âge, Marcel Proust aimait les bonbons et avait décidé d’écrire une œuvre littéraire qui ferait date. Mais il mit longtemps à trouver le chemin qui le mènerait à la recherche du “temps perdu”. On pourrait sans être iconoclaste comparer le démarrage du processus d’écriture de la “Recherche” au démarrage d’une vieille mobylette un peu capricieuse, dont le moteur tousse quand on pédale, s’arrête, tousse encore, s’arrête, et finit enfin par démarrer pour de bon, non sans lâcher un nuage de fumée bleue, je ne me rappelle jamais si c’est par manque d’huile ou de paprika. Le démarrage de ce moteur capricieux, c’est bien sûr la toute première phrase, celle qui décide de l’orientation de toutes les suivantes !
S.P. : Professeur, voulez-vous dire que vous avez pu établir que la première phrase de la “Recherche” n’a pas toujours été “Longtemps, je me suis couché de bonne heure.” ?
Prof. L. : Précisément. Mes travaux l’établissent sans qu’aucun doute ne soit plus permis.
S.K. : Vous avez eu accès à des documents à ce jour inédits ?
Prof. L. : Inédits ou négligés. Je pense en particulier aux manuscrits déposés à la Bibliothèque du Congrès des Amis de Marcel Proust et de la Pêche à la Mouche : ces manuscrits servaient de cales à une vieille armoire bancale !
S.K. : Incroyable ! Des manuscrits inédits de Marcel Proust, sous une vieille armoire bancale ?
Prof. L. : Non, de ce fait elle ne l’était plus. Mais passons, j’ai étudié des milliers de documents pendant des années, et je suis en mesure aujourd’hui d’affirmer que le début de la “Recherche” n’a pas tout de suite eu la forme que nous lui connaissons, et que par conséquent l’objet de la “Recherche” n’a pas toujours été le “temps perdu”. La première phrase a beaucoup varié, jusqu’à ce qu’enfin Marcel, en écrivant “Longtemps, je me suis couché de bonne heure.” ouvre la bonne porte, celle qui ouvrait sur le chef-d’œuvre que nous connaissons.
S.K. : Pouvez-vous donner à nos lecteurs quelques exemples de ces “débuts” à ce jour inconnus ?
Prof. L. : Bien sûr. Par exemple, il y avait comme vous le savez un hammam dans la maison de Combray. Les hammams faisaient à l’époque l’objet d’une mode, comme aujourd’hui le dentifrice à la framboise. C’est sans doute pour cette raison qu’une des premières versions de la recherche commençait par “Longtemps, je me suis douché de bonne heure.” Elle ouvrait sur la “Recherche du gant perdu (de toilette)”, une savante et longue exégèse sur les hammams en plaine de Beauce. Antérieur au hammam est un autre début que l’on doit au goût immodéré de Marcel Proust pour les petites madeleines et autres pâtisseries : “Longtemps, j’ai goûté de bonne heure.” était la première phrase de “La recherche du pain perdu.” Je passe rapidement sur une version libertine de la “Recherche” qui commençait par “Longtemps, je me suis touché de bonheur.” J’ajoute que cette version “troisième rayon”, la “Recherche du con perdu” est une des rares que je n’ai pas authentifiée à cent pour cent, et elle pourrait bien être un canular dû au caractère farceur et impertinent d’Albertine, qui imitait à la perfection l’écriture de Marcel : glisser ce document dans les papiers de son ami aurait été bien dans sa manière. J'ose à peine mentionner la "Recherche du vent perdu", un faux grossier que l'on doit sans doute à quelque galopin et dont je me garderai de citer la phrase introductive ! Pour en revenir à des choses sérieuses, c’est au rhume des foins dont Marcel souffrait à chaque début de printemps que l’on doit sans doute : “Longtemps, je me suis mouché de bonne heure.”, début de la “Recherche de l’éternuement perdu”. Je passe d’innombrables versions que vous découvrirez dans mon ouvrage pour en venir à l’avant-dernière. Comme vous le savez, Marcel était fanatique de pêche à la mouche, ce qui l’amena sans doute à écrire : “Longtemps, je me suis levé de bonne heure.” (pour aller à la pêche - NDLR), début de la “Recherche du thon perdu”.
S.K. : Extraordinaire. On voit en effet que l’on est là tout proche de la version définitive.
Prof. L. : Tout proche en effet ! On se couche au lieu de se lever, le “thon” devient le “temps”, et le tour est joué : en voiture Simone !
S.K. : De Beauvoir ! (rire).
Prof. L. : Tout à fait, tout à fait ! (rire). Au passage, grande amatrice de pêche à la mouche elle aussi !
S.K. : Professeur, merci pour cet entretien qui nous rend impatients de prendre connaissance de votre ouvrage dans son entier dès sa parution !
Prof. L. : Pour l’information de vos lecteurs, je le dédicacerai dimanche en huit et demi à la Bibliothèque du Congrès des Amis de Marcel Proust et de la Pêche à la Mouche à Juvisy.
S.K. : Nous y serons.

© Shaki Pelott et les petites madeleines.