dimanche 23 janvier 2011

Les amis de M. Cairo


Elle avait surgi de nulle part, échappée d’un sombre carnaval à la Mickey Spillane. Les balles pleuvaient autour d’elle, et ses amis avaient une fâcheuse tendance à mourir. Sam Spade allait vite l’apprendre : au petit jeu du détective, cette fois, ce n’est pas lui qui fixerait les règles. Pour commencer, il allait vérifier ce qu’elle racontait, mais il allait devoir le faire tout seul : son collègue Archer était sorti sans parapluie sous l’averse de plomb et il ne lui serait plus jamais d’aucun secours. La route allait être longue jusqu’aux amis de M. Cairo. Longue et dangereuse. Les faux frères, le whiskey coupé qui vous endort mieux qu’un direct... À la chasse au Faucon Maltais, on ne peut compter que sur une seule fidélité : celle de son flingue.

Les films noirs de la grande époque sont autant de billets d’avion Chicago - Hong Kong via le bazar d’Istanbul. La pègre, la prohibition, l’argent facile, quoi de plus fascinant ? Un peu d’imagination dans un faubourg d’Hollywood, et voilà Capone expédié à l’ombre, voilà l’étoile filante Citizen Kane à la conquête de New York. Parlez-moi de Cagney et vous ne me lasserez jamais. Et pourquoi pas Jimmy Stewart à la présidence ? Ou Edward ‘G’, ou n’importe lequel de ces types qui n’hésitent pas à tirer et touchent toujours entre les deux yeux ?

Au casino de l’Amour et du Hasard, celui qui donne les cartes laisse sa science au vestiaire. Au casino de l’Amour et du Hasard, les atouts sont dans la manche. Si vous voulez tenter votre chance, apprenez d'abord à la vouloir. La fortune, la vraie, c’est un film en noir et blanc. Celui qui a compris cela est le Roi du Monde, le Parrain, là, maintenant, simplement parce-qu’il y croit.


Fondu au noir... Ou un prince, celui que tout le monde prenait pour un voleur... Celui qui est prêt à enlever la belle, prêt à l’emmener très loin, vers l'Orient, Baghdad... Mais elle, est-elle prête à braver son père ? Est-elle prête à suivre son prince jusqu'au bout de la terre ?

La belle est dans la salle. C’est à elle qu’il parle, depuis l’écran géant. À elle, comme au miroir de son désir. Il aimerait tellement être à ses côtés, mais la belle se dérobe, se détourne, fait naître le mystère, et bientôt, sur l’écran, le prince n'est plus là que pour elle.

Ce scintillement dans la nuit silencieuse, qui illumine l’écran et lui insuffle une âme, m’a révélé l’amour. Le grand amour, c'est le grand écran qui me l'a appris. J’ai vu une déesse, ressenti son pouvoir, et je l’avoue, je ne rêvais que de cela, être avec elle, dans ce scintillement. Être avec elle.

Les films muets, le parlant, le technicolor, depuis si longtemps... Je revois tant d’images, nettes comme des traces de pas dans la neige de ma jeunesse. Toutes ces stars que j’ai adulées, jusqu’à suivre chaque battement de leur cœur : leur éclat a brillé tant d’années. Le bonheur, simplement de les voir illuminer l’écran de leur présence : Clark Gable, Fairbanks, Maureen O’Sullivan. Ces mondes rêvés allaient devenir ma vie, mon pays d’élection. 
Imaginez la lumière naissante, imaginez que moi, j’ai pu parler à cette lumière divine.
Imaginez que j’ai gagné le privilège d'être à jamais dans ce firmament. 

D'après "The friends of Mr. Cairo", de Jon Anderson. Traduction (très) libre : Shaki Pelott.
L'auteur de la photographie de Maureen O'Sullivan m'est inconnu.

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